De la Labatt Bleue, pour tout le monde

12 août 2025 | Élisabeth Béfort-Doucet

Longtemps un point d'ancrage dans les mouvements progressistes au Québec, le mouvement ouvrier s'étiole face aux discours de droite. Afin de s'organiser pour gagner, il nous faut comprendre le pouvoir qu'utilisent les organisations de droite pour rejoindre les travailleuses et les travailleurs et ainsi diviser les salarié·es.

Au sein des syndicats, des citoyen·nes participent aux mouvements complotistes et élisent la Coalition avenir Québec, pourtant déterminée à rejeter du revers de la main leurs revendications pour de meilleures conditions de travail. Deux des stratégies utilisées par la droite réactionnaire attireront notre attention, soit le populisme et l'utilisation du cadre électoral. Puis, nous proposons une stratégie vitale à la promotion des idéaux de gauche : la solidarité.

Populisme de droite

Au moment d'écrire ces lignes, plus d'un demi-million de travailleuses et travailleurs des secteurs public et parapublic du Québec ont adopté, à hauteur de 95 %, des votes de grève générale illimitée dans le cadre du renouvellement de leurs conventions collectives. Or, le premier ministre François Legault demande aux syndicats de renoncer à « la Labatt bleue pour tout le monde, le mur à mur, la même augmentation ».

Une analogie certes boiteuse, mais représentative de la première stratégie, le populisme de droite. Le populisme de droite consiste en une tentative des élites d'imposer un référent qui serait au plus près des préoccupations du « vrai monde », afin de détourner l'attention des véritables causes des problèmes sociaux, mais aussi pour décrédibiliser les revendications syndicales. Cette stratégie est utilisée tant par le gouvernement provincial caquiste que le Parti conservateur canadien.

En faisant référence à la boisson classique, notre premier ministre ose non seulement nous dire que les demandes syndicales correspondent à une dévalorisation des catégories d'emploi par une standardisation du salaire, mais rappelle également qu'il sait ce que c'est, une bière de dépanneur, et donc qu'il est proche du petit peuple. Avec le sous-texte général selon lequel les syndicats ont des demandes déraisonnables (une bière pour tout le monde, voyons donc !), le gouvernement peut poursuivre les négociations collectives avec comme stratégie médiatique de réduire les demandes syndicales à une canette en aluminium.

Durant sa campagne à la chefferie du Parti conservateur canadien, Pierre Poilièvre mentionnait que la classe ouvrière le soutenait puisqu'il s'oppose aux élites. « Les travailleurs s'enthousiasment pour ma campagne pour la même raison que les chiens de garde de l'élite s'en désintéressent : je vais redonner aux gens le contrôle de leur vie », écrivait-il sur Twitter en mai 2022. Ces références vagues à une classe monolithique de travailleur·euses et à une élite imprécise qui lui serait opposée sont un incontournable du populisme de droite afin de dévier l'attention des véritables dominants et du système qui les sert personnellement : le capitalisme. Il nous semble pertinent de relever ici que le Parti conservateur compte parmi ses donateurs de grandes compagnies immobilières cherchant à racheter des logements abordables : on peut difficilement faire plus loin de l'opposition aux élites. Plutôt, Poilièvre s'est attaqué à une « idéologie » qui serait défendue par les libéraux pour soutenir l'augmentation des seuils d'immigration, sans vraiment détailler cette même idéologie. Ses stratégies de communication sont alors directement en phase avec une tentative de mousser une frustration vécue par des travailleur·euses en raison de la crise du logement et de la stagnation des salaires, pour mieux la diriger vers des migrant·es précarisé·es, sans trop d'explication.

Le cadre électoral

La deuxième stratégie mise de l'avant par la droite est l'utilisation du cadre électoral. S'ajoutant aux déclarations frustrantes promues par notre gouvernement pour discréditer l'action syndicale, les règles électorales actuelles empêchent les syndicats de participer au débat public lorsqu'il y a élections afin de promouvoir leurs propres revendications. En octobre 2022, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) avait publié un tableau sur son site Web comparant simplement les cinq principaux partis, mais la centrale syndicale s'est fait demander par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) de le retirer. Pourtant, aux élections générales de 2007, la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec (FTQ) avait appuyée publiquement le Parti québécois. Les syndicats se retrouvent donc autorisés à appuyer par voie démocratique le parti politique de leur choix, mais ne peuvent plus critiquer leurs propositions. Le gouvernement, le plus grand employeur du Québec, part donc avec un coup d'avance pour promouvoir son discours réactionnaire sans confrontation. Nul besoin de rappeler que les règles électorales sont dictées par des lois qui ne peuvent être modifiées que par les élu·es en place.

Les employeurs et les partis politiques de droite, dont les visées attaquent les droits des travailleur·euses, utilisent des stratégies de communication et électorales afin de promouvoir uniquement leur discours et le poser comme étant le plus raisonnable. Il peut même arriver que des centrales syndicales participent à des stratégies minant leurs propres droits : nous retenons ici l'exemple des United Automobile Workers (UAW), aux États-Unis, qui représentent près d'un demi-million de personnes dans l'industrie automobile. Il y a à peine quelques années, les dirigeants syndicaux avaient accepté des échelles salariales à progression selon l'ancienneté. Mais, le 15 septembre 2023, une grève générale illimitée a été déclenchée, entre autres pour que tous les membres obtiennent enfin un salaire équivalent pour un travail équivalent : une hausse de 36 % sur quatre ans, au même taux horaire, peu importe l'ancienneté. Le syndicat a d'ailleurs justifié ses demandes salariales sur la base que les trois plus grands fabricants automobile américains avaient vu leurs profits augmenter de 40 % dans les dernières années. Le président américain Joe Biden a alors annoncé se joindre le temps d'une journée aux lignes de piquetage pour rendre visite aux travailleur·euses et appuyer leur lutte s'opposant aux entreprises automobiles, en pourfendant ces derniers au passage de ne pas partager leurs profits astronomiques depuis la pandémie.

Notons ici l'importance de la solidarité afin de faire face aux discours patronaux visant à miner nos demandes. Si nos employeurs se permettent, eux, d'obtenir des hausses salariales « mur à mur, la même augmentation pour tout le monde » en se votant des augmentations salariales de 30 % à l'Assemblée nationale ou en se partageant des profits astronomiques générés par le dur labeur des travailleur·euses, les salarié·es du secteur public sont en droit, elles et eux aussi, d'y avoir accès.

Même Joe Biden le dit, qu'il y en aura, de la Labatt bleue pour tout le monde.

Élisabeth Béfort-Doucet est conseillère syndicale et membre du collectif Lutte commune

Illustration : Alex Fatta

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