Les désillusions d'une thanatologue

30 juin 2025 | Catherine Mavrikakis

J'ai rencontré Maude Jarry, une brillante écrivaine, alors qu'elle était étudiante en recherche-création littéraire de l'Université de Montréal. Je me rappelle qu'un jour dans mon bureau, Maude m'a dit être diplômée en thanatologie, mais elle avait quitté la profession.

Je connaissais aussi une autre Maude, jeune femme remarquable qui, elle aussi, a travaillé dans le domaine des soins aux défunt·es en région et qui, quand je l'ai croisée, il y a quelques mois, avait abandonné rapidement ce métier, selon elle, décevant. J'ai décidé de parler à Maude Jarry, de penser avec elle ses années en thanatopraxie pour comprendre un peu pourquoi ces deux femmes ont senti la nécessité de changer de profession.

L'itinéraire d'une croque-mort

Si Maude est entrée au cégep Rosemont, dans cette technique singulière pour certain·es, c'est qu'elle avait le désir d'apprendre dans un domaine où les cours de microbiologie, de science côtoyaient ceux de cosmétique. Elle avait aussi envie de s'engager dans ce qu'elle voyait comme un travail où la relation d'aide, le care étaient centraux. Maude a vite créé un blogue à l'époque « Mademoiselle Croque-mort » où elle dévoilait les secrets et les dessous de sa pratique et où elle tenait à faire connaitre ses apprentissages et sa profession, ce qui n'a pas toujours été apprécié par certain·es de ses professeur·es et par les futurs employeurs qui la lisaient.

Elle a pourtant trouvé un premier job dans une petite entreprise familiale où elle travaillait en laboratoire pour s'occuper des soins aux corps, où elle lavait les toilettes ou les voitures et multipliait les tâches les plus diverses. Puis elle est partie travailler durant plus de trois ans dans une grande entreprise. À travers ces années, Maude a ressenti un malaise grandissant envers la philosophie à la base même de ce processus invasif de conservation du corps que l'on trouve dans les salons funéraires. Les produits utilisés hautement toxiques pour les êtres vivants qui travaillent sur les corps et l'environnement, les déchets en grandes quantités qui sont générés par l'embaumement, la désillusion ressentie dans un travail que Maude voyait axé sur le care et qui parfois se réduisait à de la vente, les lois très rigides de protection de la santé publique ont fait en sorte que Maude a préféré quitter la profession, non pas fâchée, mais plutôt sceptique sur sa capacité à y être bien, en accord avec ses principes éthiques et politiques.

Les limites du métier

Maude me dit par ailleurs trouver ridicule qu'on ne puisse pas enterrer les corps dans un linceul, sans cercueil, directement dans la terre. Elle questionne ce « rite » qui veut que les corps subissent un traitement qui contrevient à une pensée et une nécessité écologique. Elle me parle d'une ancienne collègue dont elle vient d'apprendre le suicide. Elle me mentionne des cas difficiles d'embaumement, des traumatismes lors de traitements de corps violentés dont il ne faut pas trop parler. Elle me dit : « Nous étions des cordonniers mal chaussés, vus comme capables d'accueillir des sujets difficiles, de suivre des gens à travers des périodes douloureuses, mais en fait incapables de dire leur propre détresse. L'épuisement professionnel, la fatigue de compassion ne sont pas rares dans le métier. » Maude est joyeuse malgré ce qu'elle me raconte. Elle ne déteste pas son ancien travail. Elle y est même retournée pour donner un coup de main pendant la pandémie. Mais si elle pense retourner dans un salon funéraire, ce ne serait ni à la vente ni au laboratoire, mais auprès des gens endeuillés pour lesquels il y a tant à faire.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Racines au carré, 2002, Œuvres parisiennes.Pellicule d'acrylique sur toile, 110 x 120 cm

Maude Jarry est écrivaine et diplômée en thanatologie. Propos recueillis par Catherine Mavrikakis.

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